Réorientation professionnelle des jeunes : quête de sens, instabilité et contrastes sectoriels

Le Céreq (Centre d’études et de recherches sur les qualifications) a publié une étude le 6 mars 2025, précisant qu’un quart des jeunes de la Génération 2017 ont engagé une réorientation professionnelle dans les six premières années de leur vie active. Ce chiffre, révélateur d’une transformation profonde du rapport à l’emploi, invite à interroger les raisons d’un phénomène présent. Pourquoi les jeunes changent-ils aussi vite et aussi souvent de voie ?  Les jeunes faisant l’objet de l’étude sont sortis du système scolaire en 2017 et ont été confrontés aux crises sanitaires et économiques engendrées par la pandémie du Covid 19. Les réorientations précoces ne peuvent se comprendre qu’en examinant l’interaction entre ces trois facteurs : personnels (aspirations, quête de sens), économiques (instabilité du marché de l’emploi, difficultés d’insertion dans le marché du travail) et sectoriels (conditions de travail, accès aux ressources de reconversion). Pour en rendre compte, nous adoptons dans cet article une approche transversale comparant plusieurs univers professionnels : le secteur tertiaire où la réorientation est plus fréquente, et le BTP (issu du secteur secondaire), où elle reste plus marginale.  

Réorientation et rapport à l’emploi : quand l’instabilité et devient un déclencheur

Comme précisé dans l’article du CEREQ, la réorientation est souvent une réponse à des trajectoires professionnelles marquées par l’instabilité ou la déception. Le contexte économique actuel ne facilite pas l’entrée sereine sur le marché du travail. D’après l’INSEE, en 2023, le taux de chômage a atteint 17,2% des actifs chez les 15-24 ans, comparé à 6,7% chez les 25-49 ans et 5,1% chez les personnes ayant 50 ans ou plus. Également, une étude de Statista publiée le 20 février 2025 s’appuyant sur des données de l’OCDE, montre que le taux de chômage est passé de 18% en 2023 à 20% en 2024 chez les hommes de 15 à 24 ans, et de 16% en 2023 à 19% en 2024 chez les femmes de cette même tranche d’âge. Cette précarité touche donc une partie importante de la jeunesse. 

En revanche, dans le secteur du BTP, d’après les publications de la Dares et de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (Depp), 66% des apprentis trouvent un emploi salarié six mois après leur formation.

Les conditions de travail

À cette précarité s’ajoutent des conditions de travail souvent jugées insatisfaisantes. Selon l’INSEE, les métiers du tertiaire marchand dont ceux du commerce de détails exposent les jeunes à des contraintes fortes : horaires décalés, travail de nuit, répétitivité des tâches, surcharge cognitive liée à l’usage intensif des écrans ou encore faible reconnaissance sociale. Pour ce qui est du secteur du bâtiment, d’après le baromètre de la Dares intitulé 35 ans d’évolutions des conditions de travail: en 2019, 80,4% des salariés du BTP étaient d’accord avec l’affirmation suivante : « je peux organiser mon travail de la façon qui me convient le mieux ». Par exemple, les poseurs et les aides poseurs de canalisations bénéficient d’une autonomie importante 

D’autres contraintes sont évidemment présentes dans le secteur du BTP (travail en extérieur, TMS, postures contraignantes, forte exposition au bruit) , des mesures de prévention sont mises en place pour réduire l’usure professionnelle et améliorer les conditions de travail : par exemple, du 3 avril au 1er juillet 2023, l’OPPBTP a mené une campagne de prévention des troubles musculo squelettiques (TMS) notamment par l’intermédiaire du site « memepasmalbtp.fr », qui a enregistré plus de 500 000 visiteurs en 2023.

La quête de sens, un moteur puissant

Dans le secteur du tertiaire, l’instabilité n’est pas le seul facteur expliquant le changement de voie professionnelle des jeunes. Comme précisé dans l’étude de la Fondation Res Publica intitulée Mondialisation et perte de sens au travail, la perte de sens au travail alimentée par, la mondialisation et l’impression d’inutilité sociale, fragilisent le lien des jeunes à leur emploi. Un sentiment partagé massivement par les moins de 35 ans. D’après l’étude, dans ce secteur : « 59% chez les moins de 35 ans, envisagent de quitter leur emploi ». La réorientation peut ainsi apparaître comme une rupture face à une trajectoire perçue comme dénuée d’avenir ou d’épanouissement. 

Les jeunes cherchent à se reconnecter à des valeurs plus humaines ou écologiques, ou à se tourner vers des activités plus concrètes et tangibles un aspect que l’on retrouve dans des métiers manuels tels que l’agriculture ou le BTP. 

D’ailleurs, comme le souligne Batiactu, les candidats à la reconversion dans le secteur du BTP sont souvent animés par la volonté de “retrouver du sens” et de “œuvrer pour le bien commun”. Le rapport de l’Observatoire des transitions professionnelles dans le BTP ajoute que les jeunes valorisent fortement le “travail bien fait” et la fierté de contribuer à des ouvrages durables. Ici, le sens n’est pas à retrouver, il est intrinsèque à la pratique du métier. 

Prospective

Les études mentionnées tout au long de l’article montrent que le secteur du BTP facilite l’insertion professionnelle, offre des valeurs solides et des tâches concrètes qui permettent aux salariés du secteur de se sentir utiles et épanouis au quotidien. Cette satisfaction, en particulier celle des jeunes, est mise en lumière dans une étude de l’Observatoire des métiers du BTP menée auprès de 837 apprentis du BTP, on y apprend que 76 % des jeunes formés à un métier du bâtiment et 73 % à un métier des travaux publics souhaitent rester dans la filière. Leur rapport au métier est plus stable, et les changements de trajectoires s’opèrent souvent en interne, via une montée en compétence ou une création d’entreprise. 

Dans un contexte où les jeunes cherchent du sens dans leur métier, il est donc essentiel de continuer à innover pour rendre ces professions accessibles au plus grand nombre et de capitaliser sur l’image positive d’un secteur dynamique qui apporte à la fois de l’épanouissement et un réel sentiment d’accomplissement.  

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Paul KREMER 

Alternant analyste veille  : paul.kremer@ccca-btp.fr