Au salon Laval Virtual, le futur de la formation aux métiers du BTP prend forme

22 avril 2024 – Ils sont vingt, viennent d’organismes de formation aux métiers du BTP de toute la France, n’occupent pas les mêmes fonctions et ne se sont parfois jamais rencontrés. Leur point commun ? Tous participent au projet « Créer, innover pour hybrider dans les métiers du bâtiment » porté par le CCCA-BTP, sélectionné par l’État dans le cadre de l’appel à manifestation d’intérêt « Compétences et métiers d’avenir » : le plan national de digitalisation et de transformation de la formation. Du 10 au 12 avril, le CCCA-BTP les a réunis à l’occasion de la 26e édition du salon européen de la réalité virtuelle et augmentée à Laval. Une expédition apprenante placée sous le signe de l’exploration, de l’innovation et de la raison.

Philippe Metge fait partie des visiteurs engagés. Le responsable d’ingénierie pédagogique du CFA du Bâtiment Provence – Alpes – Côte d’Azur ne se contente pas de regarder les 200 solutions exposées au Laval Virtual. Il filme, prend des notes, interroge. Et surtout, il expérimente : des gants haptiques de SenseGlove au simulateur de vol sur Rafale de MotionX, en passant par la création de son jumeau virtuel chez Clarté. Choisi par le CCCA-BTP, le salon lavallois se prête à toutes les curiosités et à tous les profils. « Notre groupe se caractérise par sa diversité : formateurs, responsables du numérique, développeurs, enseignants… », détaille Sébastien Duchêne, responsable de projets pédagogiques innovants au CCCA-BTP et pilote du projet « Créer, innover pour hybrider dans les métiers du bâtiment ». L’événement dédié à la réalité virtuelle et à la réalité augmentée offre un panel de solutions susceptibles de répondre aux attentes de chacun. Dans l’un des vastes halls de l’espace Mayenne, Philippe Metge s’est arrêté dans une des allées plongées dans une semi-obscurité. Face à lui, de puissants éclairages mettent en valeur une grosse valise présentée par l’équipementier Ino-VR. « Nous allons mettre à disposition de nos formateurs et de nos apprenants les casques de réalité virtuelle Pico que l’on a sélectionnés à l’issue de notre venue au salon l’an dernier, explique-t-il, il nous faut une valise comme celle-ci pour les recharger en toute sécurité. »

Le virtuel : un réel sans contraintes

Acteurs de la formation, les membres du groupe mené par Sébastien Duchêne développent les modules pédagogiques qu’ils ont proposés dans le cadre de l’appel à manifestation d’intérêt « Compétences et métiers d’avenir ». Création d’une échoppe de barbier virtuelle, construction d’une maison, décryptage d’une technique… chaque scénario répond à un objectif d’apprentissage précis. Face aux multiples contraintes du terrain, les simulateurs de réalité virtuelle inspirent Antonio Martinoli, formateur aux métiers du plâtre au CFA du Bâtiment de Toulon : « La brique plâtrière est peu pratiquée dans les entreprises d’Occitanie. C’est pourtant une méthode traditionnelle qui est attendue notamment dans le Grand Est, explique-t-il. Grâce à ce type de solution, mes apprenants pourraient s’y entraîner autant qu’ils le souhaitent. » À sa suite, Sébastien Duchêne évoque l’entretien du circuit de climatisation des chambres froides. « Pour des raisons de sécurité, nous ne pouvons pas mettre entre les mains de nos apprentis une pompe à haute pression remplie d’un liquide dangereux. La réalité virtuelle permet une approche sans danger de ce type d’intervention. »

Dans un autre hall du salon, Cédric Schroder, chargé de mission au CCCA-BTP, assiste à la démonstration de Form’Haie vous par la société Clarté. Équipé d’un casque, un jeune homme muni d’un véritable taille-haie s’entraîne à couper des arbustes virtuels. « À la place du taille-haie, on peut imaginer n’importe quel outil, développe Cédric Schroder. L’apprenant conserve les sensations liées aux poids, aux vibrations et peut parfaire son geste métier grâce au casque qui le met face à une matière illimitée. » Sur un autre stand, Philippe Moreau, ingénieur formation au CCCA-BTP, est également convaincu par la proposition de Qbranch, un bureau d’études lavallois qui propose un dispositif semblable à Clarté. « Ce sont des solutions qui n’éludent pas notre réalité, souligne-t-il. L’apprentissage des gestes métier occupe notre quotidien et rien ne remplace l’appréhension d’un outil dans l’acte de formation. »

Nous ne sommes pas venus chercher des solutions sur étagère, mais des idées .
Pierre Billet
Directeur du CAFOC de Dijon

La préoccupation pédagogique, guide de la visite

Au détour d’une allée du salon, Émilie Besnier, formatrice de français et d’histoire-géographie à BTP CFA Charente-Maritime (Saintes), est surprise en pleine conversation avec Charles de Gaulle sur le stand du bureau d’étude AGEIS. « Ce type de solutions peut offrir aux apprenants une autre approche, plus ludique et soutenir leur attention ». L’immersion dans une cathédrale ou au cœur d’un village du XIIe siècle séduit Pierre Minier, responsable du Centre de ressource et d’aide à la formation à BTP CFA Vienne (Saint-Benoît). « Cette plongée au cœur d’une époque rend plus concret un contexte que les apprentis peuvent avoir du mal à se représenter », analyse-t-il. Pour Émilie Besnier, le virtuel offre également de nouvelles perspectives d’évaluation : « Pourquoi ne pas apprécier la capacité d’un élève à se déplacer dans un espace virtuel, à identifier tel ou tel personnage ? L’interrogation écrite n’est pas toujours le format le plus adapté dans nos classes. »

La personnalisation des apprentissages est un des atouts du virtuel. « Chaque compagnon est différent, évolue à son rythme, a des besoins spécifiques, souligne Jocelyn Gac, directeur du Collège des Métiers au sein des Compagnons du Devoir et du Tour de France. Nous avons quelques apprenants dyspraxiques. Il peut être intéressant pour eux de s’exercer grâce aux simulateurs. » Fil conducteur de la visite, la valeur pédagogique des innovations est au centre des préoccupations. « Ces solutions ne doivent pas être confondues avec des gadgets, mais présenter une réelle plus-value pour nos formateurs et nos apprenants », appuie Philippe Moreau. Si le salon laisse entendre « le chant des sirènes technologiques », selon l’expression de Jocelyn Gac, les membres du groupe se montrent pragmatiques. « Qu’ils soient humains, techniques ou financiers, les impératifs du terrain nous imposent de rêver réalité », conclut Riad Boukelmoun, formateur à BTP CFA Grand Est.

laval virtual 2024 vincent bourdon

Laval Virtual : des innovations qui méritent réflexion

Le CCCA-BTP a préféré le rassemblement à l’éparpillement caractéristique des fins d’événements. Pendant une demi-journée, tous les participants à cette expédition apprenante 2024 ont partagé leurs impressions, alimenté leurs réflexions, soulevé des interrogations, identifié des points d’attention. Leur conviction commune ? L’humain doit rester au centre de la formation aux métiers du BTP. Même dans un monde plus virtuel.

L’ancienne chapelle reconvertie en salle de réunion offre un cadre apaisé pour le partage des coups de cœur du salon. Les solutions proposées par Qbranch et Clarté recueillent la majorité des suffrages auprès de votants séduits par la combinaison vertueuse du réel et du virtuel. La proposition de Scalian, un outil qui s’appuie sur la réalité augmentée pour permettre aux apprenants de visualiser des objets complexes en vue partagée, est également appréciée pour sa dimension collaborative. Jorge Martins, chargé du numérique à BTP CFA Occitanie et ancien formateur Étude et économie de la construction, met en avant la solution de suivi de chantier développée par Artefacto : « Cette innovation permet aux apprenants de vérifier la conformité de leur pièce produite en atelier, en la superposant virtuellement au dessin initial. »

Un regard critique

Pour la deuxième partie d’une matinée résolument collective, Sébastien Duchêne invite le groupe à prendre un peu de distance et à poser un regard critique sur le salon. La durabilité des équipements peut laisser perplexe. « Un casque de réalité virtuelle a une durée de vie de deux ans, regrette Raphaël Harang, responsable du service Innovation et développement de BÂTIMENT CFA Normandie. Compte tenu du coût de chaque équipement et du temps nécessaire à son déploiement, c’est une vraie problématique. L’impact environnemental de ces nouveaux objets n’est pas à négliger non plus. »

L’évolution rapide de la réglementation dans le secteur de la construction est identifiée comme un point de vigilance. Sébastien Duchêne rappelle que la création par le CCCA-BTP de la plateforme E-mersive BTP vise précisément à la mise en commun des modules de réalité virtuelle et de réalité augmentée, pour assurer leur veille et leur actualisation. « Les attentes du secteur, elles aussi en évolution, doivent également être prises en compte dans la mise en œuvre du projet », insiste Philippe Moreau. Cédric Schroder a par ailleurs rappelé que le numérique n’est qu’un outil au service des dispositifs pédagogiques : « les formateurs sont les acteurs principaux de nos formations. L’objectif n’est pas de les remplacer ou de les entraver. Nous devons les intégrer dans la conception des modules et les accompagner dans leur utilisation ». Quid des apprenants ? Ils ont constitué la toile de fond des trois jours lavallois : « le projet « Créer, innover pour hybrider dans les métiers du bâtiment » est pensé pour eux », rappelle Sébastien Duchêne. Ce à quoi tout le groupe acquiesce.

Le Projet « Créer, innover pour hybrider dans les métiers du bâtiment » en un clin d’œil

Le projet, sélectionné en 2022, est doté d’un budget de 15 millions d’euros. Il vise à faire évoluer les modalités de formation professionnelle aux métiers du bâtiment vers un usage numérique, répond à un double objectif : 

1. Intégrer les modalités de formation immersives dans les pratiques de formation professionnelle des apprentis du bâtiment pour hybrider et personnaliser leurs parcours de formation. 

2. Assurer l’interopérabilité des métiers, dans l’optique de l’amélioration de la qualité du bâti et de l’efficacité énergétique. Le consortium piloté par le CCCA-BTP réunit 18 organismes de formation aux métiers du BTP, 60 sites de formation. Il mobilise 350 personnels pédagogiques pour la conception de 700 ressources dont 83 en réalité virtuelle. D’ici 2025, 5 000 apprentis sont amenés à tester les modules.

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