Newsletter n° 10 – 16 mars 2022

POINT SUR LA RÉFORME DE LA FORMATION : FOCUS SUR LES RÉGIONS

La révision complète du rôle des régions en matière d’apprentissage constitue indéniablement un des axes majeurs de la réforme réalisée par la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel (JO du 6).

Alors que depuis la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l’Etat, ces dernières occupaient une place centrale dans la définition de la politique d’apprentissage, désormais l‘Etat et France compétences en sont les pivots politique et financier. 

Deux ans s’étant écoulés depuis l’entrée en application de ce volet de la réforme de 2018, un point sur l’action des régions en matière d’apprentissage s’impose.

1. Quel est le rôle des régions fixé par la loi du 5 septembre 2018 ?

Au 1er janvier 2020, la compétence consistant à définir la politique d’accès à l’apprentissage octroyée en 1983 est retirée aux régions au profit de France compétences.

Cette suppression se traduit par une évolution des missions des régions.

Ainsi, ces dernières sont désormais chargées de la seule politique régionale de formation professionnelle des jeunes et des adultes à la recherche d’un emploi ou d’une nouvelle orientation professionnelle. Elles contribuent à la démarche d’évaluation de la politique de formation professionnelle uniquement pour les jeunes et les personnes à la recherche d’un emploi.

Le retrait de compétences se traduit par une évolution :

• de la définition du contrat de plan régional de développement des formations et de l’orientation professionnelles (CPRDFOP) ;

• de la définition de la carte régionale des formations initiales ;

• du champ d’intervention du fonds régional de l’apprentissage et de la formation professionnelle continue (FRAFPC) ;

• du dispositif de compensation des charges sur le plan régional.

Toutefois, la loi du 5 septembre 2018 leur conserve un champ d’action en matière d’apprentissage ; ainsi, elle fixe le principe selon lequel les régions sont chargées de contribuer à la mise en œuvre du développement de l’apprentissage de manière équilibrée sur leurs territoires en contribuant au financement des centres de formation d’apprentis (CFA). Mais ce champ d’action est dénué de toute marge d’initiative : le financement de cette mission est assuré par les fonds de la formation professionnelle que France compétences doit verser aux régions pour ce faire, et la contribution des régions aux CFA est encadrée. Celle-ci peut prendre deux formes :

majoration du coût de prise en charge des contrats d’apprentissage assurée par les opérateurs de compétences (OPCO) s’il s’agit d’une contribution au financement de dépenses de fonctionnement ;

versement d’une subvention si la contribution a pour objet le financement de dépenses d’investissement.

Depuis le 1er janvier 2022, la région peut affecter une fraction des ressources qui lui sont allouées au titre des dépenses de fonctionnement aux dépenses d’investissement lorsqu’elle constate sur une même période :

• Un montant de dépenses de fonctionnement engagées ou prévisionnelles inférieur au montant des ressources allouées à ce titre ;

• Un montant de dépenses d’investissement engagées ou prévisionnelles supérieur au montant des ressources allouées à ce titre.

La fraction des ressources relatives aux dépenses de fonctionnement ne peut être supérieure à 82 % du montant annuel des ressources allouées pour les dépenses de fonctionnement. La fraction des ressources faisant l’objet de cette réaffectation, ainsi que le montant de la somme correspondant à l’application de cette fraction, doivent être communiqués pour information au préfet de région et à France compétences.

La réglementation issue de la réforme de 2018 prévoit que le montant des dépenses engagées et mandatées par les régions et un état détaillé de leur affectation font l’objet d’un débat annuel au conseil régional sur la base d’un rapport présenté par son président lequel doit être transmis pour information au préfet de région et à France Compétences. Elle dispose également que les dépenses réalisées par les régions qui s’inscrivent dans le cadre du CPRDFOP peuvent faire l’objet de conventions d’objectifs et de moyens (COM) avec les OPCO agissant pour le compte des branches adhérentes.

Les ressources allouées par France compétences aux régions sont versées avant le 1er juin de chaque année et réparties proportionnellement à la moyenne des dépenses constatées (cf. tableau annexé, colonnes 2 à 4) :

• pour les dépenses de fonctionnement au titre des exercices 2016, 2017 et 2018 ;

• au titre des dépenses d’investissement au titre des exercices 2017 et 2018.

Une convention type dite d’objectifs et de moyens 2020-2022 a été adoptée le 15 octobre 2020 par le conseil d’administration de France compétences en vue de sa conclusion entre son directeur général et chaque région ; 4 axes stratégiques assortis de 8 objectifs stratégiques et d’indicateurs de résultats y sont énoncés.

Une participation des régions au fonctionnement de France compétences est prévue par la loi du 5 septembre 2018. Les représentants des régions, au nombre de 2, désignés par le ministre de la formation professionnelle sur proposition de l’Association Régions de France, disposant au total de 15 voix sur 110 voix, forment le 4ème collège constituant le conseil d’administration de France compétences.

2. Des données chiffrées sur l’action des régions depuis le 1er janvier 2020

Trois volets : le montant de la compensation de l’Etat aux régions ; le montant des ressources allouées par France compétences aux régions ; le montant des contributions des régions aux CFA.

a) Le montant de la compensation de l’Etat aux régions

• En 2020, institution, au profit des régions dont les ressources compensatrices supprimées ont excédé le financement des charges en matière d’apprentissage, d’un prélèvement sur les recettes de l’Etat de 72 582 185 € et d’un versement d’une part du produit de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TIPCE) d’un montant de 156 886 260 €. En 2022, le montant du prélèvement sur les recettes de l’État au profit des régions au titre de la neutralisation financière de la réforme de l’apprentissage est fixé à 122 559 085 euros.

• En 2020, mise en place, pour 3 régions (Centre Val de Loire, Pays de la Loire et Guyane) qui présentent un montant de ressources compensatrices inférieur au montant des dépenses d’apprentissage constatées, un dispositif de reprise d’un montant de 11 289 326 €.

• En 2020, majoration du prélèvement sur les recettes de l’Etat de 49 976 900 € afin de participer à la couverture des charges afférentes à la politique de l’apprentissage et aux reliquats de dépenses incombant aux régions du 1er janvier 2020 au 31 décembre 2021 au titre de la prime versée aux employeurs d’apprentis par les régions.

b) Montant des ressources allouées par France compétences aux régions

Le versement de fonds aux régions par France compétences est effectué, déduction faite du versement en faveur de l’Etat, dans le cadre d’une dotation se rapportant aux dépenses relatives à l’alternance évaluée entre 55 % et 83 % des ressources de France compétences. Pour 2022, le montant du versement pour le financement des dépenses de fonctionnement est fixé à 130 000 200 euros ; le montant du versement pour le financement des dépenses d’investissement est fixé à 180 097 500 euros.

c) Montant des contributions des régions aux CFA

Dans le tableau annexé à ce focus, le montant des enveloppes relatives à l’apprentissage par région est indiqué. Ce tableau rassemble toutes les données chiffrées couvrant la période 2020-2022. Il devrait permettre une juste appréhension des aspects financiers de la réforme de 2018.

En colonnes 2 à 4, sont mentionnés les montants des ressources qu’ont reçues les Régions de France compétences avec la distinction fonctionnement/investissement.

En colonnes 5 à 8, sont portés les montants des dépenses effectuées par les régions en 2020 toujours avec la distinction fonctionnement/investissement, tels que figurant dans le document jaune « formation professionnelle » annexé au projet de loi de finances pour 2022.

En colonnes 9 à 11, sont indiqués les montants des budgets primitifs 2021 toujours avec la distinction fonctionnement/investissement tel que nous avons pu les recueillir. Les colonnes 12 à 14 se rapportent aux montants des budgets primitifs 2022 toujours avec la distinction fonctionnement/investissement tel que nous avons pu les recueillir.

Dans la colonne 15, le nombre de contrats d’apprentissage conclus pour le secteur privé en 2021 est indiqué.

3. Quelle évaluation de cette action ?

Dans le rapport d’information n° 4922 déposé par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale et rendu public le 19 janvier 2022, il est dressé le tableau suivant du rôle des régions à la suite de la réforme de 2018 :

« La réforme ayant donné une place importante à France compétences, aux branches et aux opérateurs de compétences, la place des régions, jusqu’ici régulatrices et principales financeuses, a dû être revue dans l’architecture globale de l’alternance selon les modalités suivantes :

• elles participent activement à la gouvernance au sein de France compétences (cf. gouvernance infra) ;

• elles ont conservé une capacité de financement propre qui leur est allouée par France compétences sur les fonds « alternance », fixée à 138 millions d’euros pour financer le fonctionnement des centres de formation d’apprentis et 180 millions d’euros pour leurs investissements, montants qui ont été fixés en loi de finances (1) ; un montant ponctuel de 268 millions d’euros leur a par ailleurs été versé en 2020 pour assurer la neutralité financière de la réforme (2), somme conforme à ce qui avait été préconisé dans le rapport « IGAS-IGF » (3).

Sollicitée par les rapporteurs, la DGEFP a indiqué dans ses réponses qu’elle ne disposait pas d’éléments consolidés sur l’utilisation de ces deux enveloppes. Régions de France a néanmoins pu produire une consolidation intéressante (4) : – en 2020, les régions ont dépensé 374 millions d’euros pour l’apprentissage ; – ce montant va au-delà de la somme des deux enveloppes versées chaque année par France compétences (318 millions d’euros en 2020, comme évoqué supra).

Lors des auditions, Régions de France a elle-même reprécisé son nouveau rôle : « la formation à des métiers rares ou nouveaux, l’amorçage de certains projets et l’aide aux CFA en difficulté ». Elle a souligné son regret de ne plus pouvoir agir sur la régulation de l’offre.

Face à ce nouveau « fait régional », certains acteurs ont souligné aux rapporteurs lors des auditions que les régions n’investissaient plus au-delà de ces enveloppes dédiées, alors qu’elles le faisaient souvent auparavant lorsqu’elles en avaient la compétence, crainte qui avait déjà été partagée au moment des débats. Ce constat ne semble toutefois pas étayé globalement par les chiffres consolidés donnés par Régions de France, même si on ne peut exclure que cette réalité existe bien dans certains territoires.

[…]

Pour les rapporteurs, les régions conservent un rôle à jouer dans la suite de cette réforme de l’apprentissage, qu’il s’agisse de leur apport au sein de France compétences, ou de leur rôle de financeur « à vocation spécifique », parfaitement décrit par Régions de France lors des auditions (cf. supra).

L’existant peut naturellement encore être amélioré : ainsi, afin de mieux assumer ce rôle, Régions de France a indiqué aux rapporteurs (5) avoir fait la demande d’une fongibilité entre les deux « enveloppes ». Cette demande a obtenu satisfaction dans un décret du 28 décembre dernier (6), qui a toutefois fixé des conditions :

• la fongibilité ne va que dans un sens : du fonctionnement vers l’investissement ;

• la fongibilité est conditionnée à un besoin objectif (7) ;

• la fongibilité est plafonnée à 82 % du montant de l’enveloppe « fonctionnement ».

Enfin, les rapporteurs relèvent que les 700 CFA qui étaient menacés par la réforme d’après Régions de France en avril 2019 (8) n’ont pas fermé selon les données disponibles (cf. supra), et ce malgré des dotations qui étaient estimées insuffisantes ; s’il est évidemment utile de rester vigilant à ce sujet, le modèle économique des « petits » CFA reste encore viable dans le nouveau système – dotations complémentaires des Régions comprises – et donc rien n’indique à ce stade que les montants retenus pour les deux enveloppes « régionales » seraient insuffisants. »

(1) Dotations dont le principe a son siège à l’article L. 6211-3, créé par l’article 34 de la loi « Avenir professionnel ».

(2) Une partie de la taxe d’apprentissage qui était versée aux régions permettait en effet de financer des actions relevant de la formation professionnelle, qui demeurent à leur charge.

(3) Rapport précité, p. 217.

(4) Réponses à un questionnaire complémentaire des rapporteurs. Régions de France a précisé aux rapporteurs que « ces données proviennent des comptes administratifs retraités par le cabinet FSL ».

(5) Contribution écrite de Régions de France.

(6) Décret n° 2021-1850 du 28 décembre 2021 relatif à l’utilisation des ressources allouées aux régions pour les dépenses de fonctionnement et d’investissement des centres de formation d’apprentis.

(7) Il faut qu’au moment du transfert les dépenses de fonctionnement soient inférieures aux ressources et les dépenses d’investissement supérieures aux ressources.

(8) Le chiffre cité par Régions de France dès le 27 avril 2018 (https://regions-france.org/actualites/actualitesnationales/reforme-de-lapprentissage-700-cfa-menaces-de-fermeture/) aurait été repris devant la mission « IGAS-IGF » à cette date (rapport précité, note de bas de page, p. 35).

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Est-ce que le point de rupture opéré par la loi du 5 septembre 2018 peut être remis en cause ces prochains mois ? Toute réponse est bien hasardeuse. Une chose est sûre à ce jour, deux projets de décrets prévoyant des ajustements de la réglementation pour tenir compte du nouveau rôle des régions et de l’Etat en matière d’apprentissage devraient être publiés prochainement. Aux termes de ces textes, l’Etat devrait établir dans son rapport annuel au Parlement un bilan en matière d’apprentissage, et non plus un simple état des ressources et des dépenses de fonds régionaux de l’apprentissage et de la formation professionnel continue pour l’année antérieure et pour l’année en cours. L’apprentissage est soustrait du champ d’intervention des comités régionaux de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles (CREFOP). Sujet à suivre !

Prochain point sur la réforme de 2018 : focus sur le financement de l’apprentissage (taxe d’apprentissage et contribution supplémentaire à l’apprentissage)

ANNEXE

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