Newsletter n° 4 – 1er juillet 2021

Regard d’experts sur la nouvelle place de l’économie circulaire dans le BTP en Europe

Le secteur du BTP connaît de profondes transformations pour s’adapter aux nouveaux enjeux de la transition écologique et en particulier de l’économie circulaire. Quels sont les impacts pour les métiers du BTP ? Comment les organismes de formation (OF) doivent-ils anticiper ces mutations ? Antoine BOUDON, expert en économie circulaire chez Agyre (France) et Samuel MAJEREUS, spécialiste en économie circulaire et directeur du département QSE² (qualité, sécurité, environnement et énergie) chez Simon-Christiansen & Associés (Luxembourg) apportent leurs éclairages sur le sujet.

1- L’entrée en vigueur de la RE 2020 dès janvier 2022 va imposer aux acteurs de la construction (organismes de formation et entreprises du BTP) de revoir leur stratégie pour prendre en compte ces enjeux sociétaux. Quelle stratégie doivent adopter les organismes de formation (OF) aux métiers du BTP pour répondre à ces enjeux liés à la réglementation environnementale ?

Antoine BOUDON : « L’arrivée de la nouvelle réglementation environnementale (RE 2020) va transformer en profondeur le secteur de la construction. Dans un premier temps, les OF devraient intégrer progressivement de nouveaux modules de développement durable dans les formations existantes, puis capitaliser sur ces premiers modules et dans un deuxième temps, ouvrir de nouvelles formations dédiées aux métiers liés à l’économie circulaire ».

Pour ce faire, les OF doivent sensibiliser à la fois les apprentis, les entreprises d’accueil et le corps enseignant. Les apprentis ont besoin de comprendre pourquoi leurs métiers évoluent vers des sujets d’économie circulaire et d’éco-construction, les entreprises d’accueil de savoir que la formation évolue vers de nouvelles compétences. Enfin, il est essentiel de sensibiliser le corps enseignant à l’intégration de ces nouvelles problématiques au sein des programmes de formation ».

Samuel MAJEREUS : « Au Grand-Duché du Luxembourg, nous avons depuis quelques années une des réglementations les plus exigeantes en Europe en termes d’efficacité énergétique pour la performance des bâtiments (d’habitation et fonctionnels). Un important travail de sensibilisation et de formation sur les nouvelles exigences a été effectué. Après examen, les bureaux d’études ont la possibilité d’obtenir un agrément certifiant leurs connaissances en la matière. Au Luxembourg, les lycées ainsi que l’université proposent également des cours sur le sujet afin de préparer les futurs acteurs. Les OF devraient offrir des formations continues sur les nouvelles exigences de la RE 2020 aux futurs apprentis car les experts « économie circulaire » sont de plus en plus recherchés dans le secteur de la construction ».

2 - Quels nouveaux métiers de l’économie circulaire se profilent à la croisée des métiers classiques du BTP dont les OF devraient anticiper l’arrivée ?

Antoine BOUDON : « Tout d’abord, il faut avoir en tête la nécessité de faire évoluer les métiers existants et d’accompagner les OF dans cette transformation. Par exemple, les apprentis artisans, constructeurs des bâtiments, doivent réfléchir à une méthodologie de travail pour intégrer la fin de vie de l’ouvrage de manière à s’ancrer dans une logique d’éco-conception, dès l’amont du projet. Toujours dans une logique d’éco-conception, de nouveaux métiers pourraient émerger notamment en lien avec les phases d’usage et d’exploitation du bâti, où de nombreux besoins se font sentir : collecte des données, entretien durable, etc. ».

Samuel MAJEREUS : « Les profils classiques, particulièrement les profils de concepteurs comme par exemple architectes, dessinateurs, ingénieurs, devraient apprendre de nouvelles techniques comme la fixation mécanique. Car on a tendance à réduire l’économie circulaire au choix des matériaux. Un bâtiment peut être construit avec un matériau durable sans pour autant offrir de garantie sur sa démontabilité ou sa recyclabilité. Voilà pourquoi les fixations mécaniques sont primordiales dans la construction circulaire et doivent être intégrées dès la conception pour favoriser le démontage et la déconstruction.  Notre bureau d’études forme précisément les étudiants en BTS et Master sur l’économie circulaire à l’université du Luxembourg. Pour garantir les passerelles entre les formations, il faudrait aussi encourager les partenariats entre les anciens formateurs aux métiers classiques du BTP et les experts professionnels des nouveaux métiers sur le terrain ».

3 - À quels besoins de compétences ces futurs jeunes apprentis formés aux « nouveaux métiers » devraient-ils répondre sur le marché de l’emploi ?

Antoine BOUDON : « Il me semble plus important de se focaliser sur les champs de compétences plutôt que sur un métier en particulier. Il faudrait que les futurs apprentis se saisissent de nouveaux sujets tels que l’approvisionnement durable, l’économie de la fonctionnalité, le recours au réemploi, etc. Pour l’instant, peu de professionnels y sont formés.

Avec l’arrivée de la RE2020, l’intégration croissante de l’économie circulaire dans les marchés de la construction va pousser les entreprises à formuler des réponses en accord avec ces nouveaux enjeux.  Or, l’entreprise qui a des artisans formés sur ces sujets sera plus compétitive car elle proposera une offre économiquement plus juste et cohérente d’un point de vue technique.

Les OF doivent anticiper ces nouvelles problématiques pour former les apprentis sur ces sujets émergents : matériaux biosourcés, installation propre du chantier, réemploi des matériaux ou des produits, nouvelles techniques constructives, intégration de granulat de bétons. Ces formations sont décisives sur le marché de l’emploi : en employant des jeunes formés aux métiers de l’économie circulaire, les entreprises bénéficient d’un gros avantage concurrentiel ».

4 - Quels matériaux innovants et durables seront indispensables pour les futures constructions de bâtiments durables (éco-construction), matériaux auxquels les jeunes apprentis devront être formés dans les 5 voire 10 prochaines années selon vous ?

Samuel MAJEREUS :  Le plus grand travail doit être réalisé dans la décarbonation du ciment qui joue un rôle primordial dans l’empreinte carbone du secteur de la construction. Parallèlement, comme le bois est de plus en plus utilisé pour répondre aux besoins d’éco-construction, il est important de développer les formations de charpentier dans la construction ».

Antoine BOUDON : « Il n’y a pas de “matériaux indispensables” pour la construction de bâtiments durables. Je pense qu’il faut surtout adopter une philosophie « du bon matériau au bon endroit » et éviter de tomber dans des raccourcis « tel matériau = matériau durable ». À la manière des territoires qui disposent tous de matériaux différents, je pense qu’il est intéressant de réfléchir à une « territorialité de la connaissance », c’est-à-dire de former les apprentis en fonction des matériaux à disposition sur le lieu d’apprentissage. De cette façon, la formation des apprentis entre en adéquation avec les réalités territoriales et encourage la diversité que prône l’économie circulaire. Or les OF sont justement des acteurs territoriaux dont la connaissance fine permet d’apporter des réponses adaptées et de capter les jeunes ».

5 - En quoi ces enjeux d’évolution des métiers pourraient-ils apporter une valeur ajoutée à un organisme de formation aux métiers du BTP ?

Antoine BOUDON : « Dans une logique de conformité avec les exigences réglementaires, l’éco-construction va occuper une place croissante dans le panorama général de la construction. Les OF gagneraient à anticiper cette transformation en incluant dès maintenant des modules sur l’économie circulaire dans leur plaquette de formations. Cet argument écologique est essentiel pour les jeunes qui ont à cœur de choisir des métiers en accord avec leurs engagements en faveur de l’environnement. Enfin, ces nouvelles évolutions représentent l’opportunité pour les OF d’élargir la cible en sensibilisant davantage le public féminin aux formations techniques des métiers du BTP ».

Samuel MAJEREUS : « Dans tous les cas, face à la prise de conscience générale – en particulier de la part des jeunes, souvent investis dans les combats sur le changement climatique – les OF ont un intérêt stratégique à intégrer cette préoccupation des pouvoirs publics et des citoyens pour mieux répondre aux besoins du marché de la construction ».

Biographie des auteurs

Samuel MAJERUS : est ingénieur en génie mécanique spécialisé en énergie de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne. Il a intégré le bureau d’études luxembourgeois Simon-Christiansen & Associés en 2018 et dirige le département QSE² en tant que Directeur depuis janvier 2021. Il est actif dans l’économie circulaire et l’énergie.

Antoine BOUDON : est ingénieur économie circulaire chez AGYRE, un hub d’accélération national de l’économie circulaire qui œuvre sur 3 volets principaux : la formation de l’intégralité de la chaîne d’acteurs du BTP sur les problématiques d’économie circulaire, l’accompagnement opérationnel auprès des MOA sur les 7 piliers de l’économie circulaire et le développement de l’innovation circulaire au sein des territoires.

Vous êtes intéressé ? Besoin de plus d’information ? Contactez :
Boubacar DIALLO / b.diallo@ccca-btp.fr

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