Newsletter n° 18 – 20 janvier 2023

Quels enjeux pour les métiers et les compétences face à la décarbonation des bâtiments ?

Le 23 novembre dernier, le Living Lab, Tiers-lieu des Matériaux et Bâtiments durables du Pôle Fibres-Energie, organisait un débat entre étudiants, enseignants, salariés et chefs d’entreprises franco-suisses sur la thématique de la décarbonation des bâtiments. Quelle perception les jeunes du secteur de la construction ont-ils des enjeux liés à l’urgence climatique ? Comment souhaitent-ils s’impliquer dans les projets de décarbonation ? Découvrez ci-dessous une synthèse de ces échanges.

Organisée conjointement par le Living Lab, le CCCA-BTP et le Consulat Général de Suisse, la rencontre avait pour objectif de renouer le dialogue entre entreprises et étudiants. Pour préparer le débat, 80 étudiants avaient été rencontrés en amont, dont 40% de filles, issus de filières variées et de tous niveaux d’études : étudiants en architecture, en Design et Design d’Intérieur, menuiserie, en système de construction et d’habitat, ingénieurs en génie civil, plasturgie, génie mécanique et mécatronique, topographie, génie climatique et énergétique, génie électrique. Des chefs d’entreprise avaient également été interviewés et filmés pour s’exprimer sur la manière dont ils prennent en compte les enjeux de décarbonation dans leurs structures, et les compétences dont ils ont besoin pour préparer l’avenir.

Un sentiment d’impuissance généralisé

Constat global : les étudiants sont très préoccupés par les enjeux climatiques, mais ont peu d’espoir pour l’avenir : “le temps est trop court et nous sommes trop petits par rapport à l’ampleur de la situation écologique du monde”.  Les étudiants se sentent isolés, ont le sentiment que l’on renvoi à la jeune génération la responsabilité de gérer la crise écologique, sans réel soutien ni moyens clairs pour y parvenir. Ils se sentent découragés par certains choix politiques : “comment peut-on encore faire confiance aux personnes qui nous gouvernent ? On nous demande de fabriquer écologique, de décarboner, et en parallèle on privatise l’ONF, donc il y aura forcément un objectif de profits dans la gestion de nos forêts”.

Pour eux, il est nécessaire de mieux éduquer la population, les dirigeants et politiques : “on produit trop d’objets dont on n’a pas besoin”.

Etudes : mieux former à la décarbonation

Aujourd’hui, l’écologie fait partie intégrante des décisions de vie de la jeune génération. Ainsi, certains étudiants ont choisi leur filière car ils pensent pouvoir contribuer à l’évolution de la filière du bâtiment en lien avec la décarbonation. Toutefois, ils notent encore un décalage entre les promesses de la formation et la réalité de l’enseignement : “les cursus sont souvent obsolètes par rapport à l’attente en entreprise”, “il y a une différence entre l’idée que l’on se fait d’un métier, le contenu de nos formations et la réalité du terrain”. 

Sur les thématiques du développement durable et de la décarbonation, les étudiants notent encore des lacunes dans les cursus scolaires “il y a une urgence ! Il nous faudrait des formations en permaculture, en biodiversité, ce sont les thèmes d’aujourd’hui et pas de demain !”. Bien que ces sujets soient de plus en plus abordés en cours, cela reste encore dans des modules isolés, spécifiques. Le développement durable devrait partie intégrante de la vision globale du parcours de formation. 

Entreprises : favoriser les actes

Interrogés sur leur perception des actions menées par les entreprises sur l’environnement, les étudiants notent des efforts mais restent sceptiques quant au décalage entre la parole et les actes “quand on postule pour une place en entreprise, on consulte le site web de l’entreprise et on constate qu’elle a un label vert. Quand on arrive, on remarque que 50% correspond à ce qu’ils affichent, les 50 autres pour cent, ils font du négoce de produits exotiques et importent des matériaux de l’Asie très polluant”. Les discours des entreprises sont “souvent du greenwashing, de l’affichage pour paraître clean et se mettre dans les rangs”.

Pour autant, les jeunes sont conscients aussi de la réalité économique qui s’impose aux entreprises : “l’entreprise n’a peut-être pas le choix pour rester compétitif mais ça choque ! Il faudrait lui donner la possibilité d’être compétitif sans cela”. Un changement profond de système s’impose donc, ainsi que des évolutions dans la règlementation : “aujourd’hui, la loi peut imposer une sélection d’entreprises qui ne sont pas connues de l’architecte et qui ne sont souvent pas en facteur du développement durable. Les matériaux et entreprises de construction sont sélectionnés en fonction de la rentabilité”.

Les étudiants notent également encore un manque d’information sur les solutions écologiques lorsqu’ils sont sur le terrain. Par exemple, ils se disent peu informés sur les possibilités de chauffage en géothermie. Un meilleur accès à l’information est donc une nécessité. L’une des étudiantes en architecture note par exemple qu’elle aimerait avoir une liste de fournisseurs fiable, avec une explication des produits proposés et un descriptif bas carbone. 

Technologie : redonner sa vraie place au numérique

Les jeunes ont le sentiment qu’une place trop grande est accordée au numérique dans les enjeux de décarbonation. “Les chefs d’entreprise pensent que le sauvetage de l’humanité passera par les nouvelles technologies mais ce n’est pas le cas”. Si “le numérique est incontournable et permet une meilleure communication, il ne faut pas que l’homme s’adapte au numérique mais que le numérique s’adapte aux besoins réels des métiers et de la décarbonation”. Il existe aussi trop d’outils, pas toujours bien adaptés et utiles. Certains jeunes encouragent ainsi le “low tech”, ce concept qui se veut l’opposé de la High-Tech, et qui pousse vers une technologie utile, durable et accessible. C’est seulement en redonnant du sens au numérique que ce dernier deviendra un critère d’attractivité pour les jeunes générations.

Renouer le dialogue pour retrouver du sens

Seules une meilleure communication et l’intelligence collective vont permettre de préparer demain.

Cela passe déjà par une meilleure communication entre les métiers : il faut recréer un langage commun entre les métiers du bâtiment, offrir une vision globale des projets, et encourager la transdisciplinarité, que ce soit dans les formations ou sur le terrain. Cette transversalité est nécessaire pour permettre à chacun de trouver sa place dans l’entreprise, apporter sa pierre à l’édifice, et ne pas “être perdu dans la masse”.

Renouer le dialogue entre les jeunes et les dirigeants aussi. Les échanges lors de la table ronde du 23 novembre dernier ont mis en lumière des écarts de compréhension sur certains sujets, ainsi que des idées préconçues de part et d’autre. Ainsi, là où un chef d’entreprise expliquait vouloir se tourner vers les jeunes de la restauration pour recruter, car ces derniers ne sont pas satisfaits de devoir travailler le week end, l’un des jeunes présents lors du débat et actuellement en reconversion de la restauration vers la construction a rectifié ce constat : ce n’est pas le travail le week-end qui est pénible, mais l’amplitude horaire trop importante qui nuit fortement à la vie privée.

Le débat a également permis aux jeunes de s’exprimer sur les éléments motivant leurs choix de candidature à un poste. Outre le fait que l’entreprise tienne un discours cohérent sur l’environnement, qu’elle ait déjà mis en place des actions allant dans ce sens, la crise du Covid a eu un impact profond sur les choix de vie des jeunes générations. En effet, ils sont de plus en plus nombreux à chercher un équilibre vie professionnelle-vie personnelle au travers d’emplois offrant davantage de flexibilité (télétravail, temps partiel…). De leur côté, les chefs d’entreprise ont également pu rappeler la réalité du terrain, qui rend parfois impossible la mise en œuvre de ces modalités de travail assouplies.

Ainsi, ce débat a illustré l’importance de renouer le dialogue entre les générations pour trouver des solutions et préparer l’avenir du secteur de la construction. C’est le principal objectif du Living Lab, qui organise régulièrement des workshops pour réunir étudiants et entrepreneurs en provenance de France, Suisse et Allemagne, et propulser l’intelligence collective par le débat d’idées, la confrontation des cultures et des inspirations.

Pour en savoir plus :

Présentation du Living Lab du Pôle Fibres-Energievie : http://www.fibres-energivie.eu/actu/living-lab-tiers-lieu-des-materiaux-et-batiments-durables

Contact : Nathalie Rolling Lerch, Administratrice du LIVING Lab. nathalie.rollinglerch@fibres-energivie.eu

 

Vous êtes intéressé ? Besoin de plus d’information ? Contactez-nous :

Maryse DEGOUGE, analyste chargée de veille, maryse.degouge@ccca-btp.fr

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