Newsletter n° 22 – 26 mai 2023

Innover : des voies plurielles ? Le cas des abandons de formation  

« Aussi audacieux soit-il d’explorer l’inconnu, il l’est plus encore de remettre le connu en question. » Kaspar. 

Lorsqu’il est question d’innovation, l’innovation technologique est souvent la première forme qui vient à l’esprit. Toutefois, l’innovation peut prendre de nombreuses autres formes, telles que l’innovation sociale, de procédé, d’organisation, de marketing et commerciale. Cette diversité est précieuse pour explorer des solutions à différents problèmes, comme celui des abandons de formation, une problématique persistante dans les organismes de formation depuis plusieurs années. 

  

L’intelligence artificielle, innovation technologique porteuse de promesses mais aussi de craintes

S’il est une innovation technologique qui fait parler d’elle aujourd’hui, c’est bien l’intelligence artificielle. Popularisée récemment par les robots conversationnels d’intelligence générative comme ChatGPT ou Google Bard, l’IA est autant louée par certains pour ses promesses révolutionnaires, que crainte par d’autres comme une technologie qui nous mène vers l’aliénation.   

Nous vivons une époque qui se veut disruptive mais qui se charge dans le même mouvement de nouveaux conformismes. Le numérique semble ainsi installer progressivement une forme d’hégémonie en entretenant une sorte de confusion entre algorithme et intelligence. Luc Julia avec sang-froid et sans alarmisme remet les pendules à l’heure sur ce distinguo dans un petit ouvrage discret au titre provocateur : « L’intelligence artificielle n’existe pas ! ». Récemment la controverse a pris une nouvelle dimension avec les déclarations fracassantes de Geoffrey Hinton3 sur France Info le 3 mai (reprises d’une émission de la BBC) où il annonce à propos de l’IA qu’il est temps de s’inquiéter. 

Comme pour toute révolution technologique, tout est une question d’usage, pour le meilleur et pour le pire. Pour le meilleur, lorsque l’on s’empare de l’IA pour améliorer les performances de diagnostics de santé, pour construire des véhicules autonomes en toute sécurité, pour automatiser des tâches complexes et répétitives, ou encore pour favoriser l’apprentissage et la formation. Ainsi, le professeur en philosophie Vivien Mirabeau a récemment créé « PhiloGPT », une extension de navigateur qui s’appuie sur ChatGPT pour proposer aux utilisateurs de simuler un dialogue avec 23 grands philosophes, dont Descartes, Platon ou Hume. Pour le pire, lorsque l’avancée technologique est poursuivie sans prise de recul ni mise en place de limites éthiques et garde-fous.  

En 1964, déjà, Marshall Mac Luhan publiait « Pour comprendre les media » dont le sous-titre est « les prolongements technologiques de l’homme ». Mc Luhan ne laissa pas le monde de la Silicon Valley (qui apprécie, au début des années 70, son non-conformisme qui confine parfois à l’ésotérisme) indifférente. L’expression maintes fois reprises : « Le village Global » est aussi de lui. Son propos, qui lui vaut encore aujourd’hui de nombreuses critiques, prend un parti original en développant une conception extrêmement vaste du medium (ce qui inclue la technologie au sens large) et il l’articule avec l’appareil perceptif humain dans le cadre d’une expérience sensorielle. Par exemple, il distingue entre un medium froid (par exemple l’affichage) qui encourage la participation en ne fournissant que peu d’informations sensorielles et medium chaud (par exemple le cinéma) qui favorise la passivité du spectateur en lui fournissant beaucoup d’informations sensorielles. L’expérience individuelle (qui peut devenir esthétique) par sa subjectivité affecte nécessairement celui qui la vit. C’est ainsi que les ados américains peuvent trouver le nouvel « ami virtuel » de Snapchat, un chatbot doté d’une intelligence artificielle et personnalisé par un avatar, effrayant ! Fondamentalement, les utilisateurs des media ont aussi des stratégies individuelles comme l’illustre les difficultés de SIRI en 2015, devenue raciste et sexiste sous l’influence des internautes. Les processus sociaux échappent aux algorithmes dont la puissance, finalement reste proportionnelle à leur inter connectivité.  

Ainsi, si le numérique demeure un champ d’innovation, il en existe également d’autres qui portent sur d’autres champs, davantage liés à la condition d’humain et de son éducation à la complexité contemporaine. 

Innover, classiquement, se définit aussi comme une réponse à un besoin non satisfait, ce peut être une solution à un problème. En principe, il ne s’agirait pas de créer de nouveaux … problèmes. 

Ainsi il est des problèmes qui encombrent. Pour ce qui concerne notre champ de la formation en alternance, il en est même certains qui persistent, comme les abandons prématurés de formation.

Cette question est devenue particulièrement encombrante avec la réforme de 2018 et le système d’assurance qualité QUALIOPI puisque, désormais, le départ prématuré d’un apprenti se double d’une perte de ressource pour le CFA et ses autres apprentis. Malgré les efforts indiscutables des OFA, en particulier dans le BTP, pour prévenir ce phénomène (Camus et Moreau 2016), le niveau des abandons demeure stable. (Et plus le niveau de diplôme préparé est bas, plus ce taux augmente.) 

S'agirait-il d'un phénomène fatal ? Quid, alors, d'une innovation en cette matière ?

Innover en matière d’abandons de formation semble bien tenir de la gageure. En effet, tous les établissements qui forment des apprentis sont déjà très actifs et ils prennent de multiples initiatives qui donnent des résultats, notamment pour permettre aux apprentis qui rompent de trouver un nouveau contrat. Pourtant les taux d’abandons ne diminuent guère. Comment alors intervenir ? 

Une intervention a été conduite pendant deux campagnes successives, au CFA de Toulouse puis avec trois autres CFA de BTP CFA Occitanie qui semble montrer que la fatalité n’est qu’apparente. En effet, les taux d’abandons pour les groupes d’apprentis concernés ont très nettement diminué. 

Cette intervention a ouvert un champ de construction dans les sciences sociales et humaines en rapprochant, dans la même action, un laboratoire universitaire et BTP CFA Occitanie, ce qui ne va évidemment pas de soi. Pourtant la rencontre a été heureuse et a permis la co-construction d’une intervention originale qui s’appuie sur la psychologie du développement. La nouveauté réside dans la prise en compte du sens donné aux apprentis, eux-mêmes, pour eux-mêmes, par rapport à leur expérience de l’alternance et, parfois, à ce qui pourrait les conduire à décider d’abandonner leur formation. 

Pour en savoir plus sur cette expérimentation, découvrez la captation vidéo de la conférence « les causes de rupture, un phénomène qui encombre » qui a eu lieu lors de la 18-me Université d’hiver de la formation professionnelle.

Une innovation sociétale ?

L’innovation, dans ce cas, prend un tour éthique car elle repose sur une conception de l’apprenti comme acteur alors même qu’il occupe la place la moins élevée dans l’entreprise. Elle répond bien à des besoins de reconnaissances réciproques qui ne sont pas toujours satisfaits. Au-delà des préjugés qui sont attachés à une démarche de recherche, fût-elle, de terrain, au-delà des préjugés liés à la psychologie (volontiers cantonnée à la seule l’action thérapeutique), la co-construction avec de nouveaux partenaires pourrait devenir une voie pleine de promesses. 

Bentabet, Elyes, Benoît Cart, Valérie Henguellé, et Françoise Kogut. 2010. « JEUNES ET ENTREPRISES FACE AUX RUPTURES DE CONTRAT D’APPRENTISSAGE ». Ministère de l’Education Nationale, Direction Générale de l’enseignement scolaire, Bureau des diplômes professionnels 245. 

Camus, Alice, et Gilles Moreau. 2016. Les ruptures des contrats d’apprentissage et des abandons. GRESCO Université de Poitiers. 

Vous êtes intéressé ? Besoin de plus d’information ? Contactez-nous :

André JORQUERA, Chargé de projets développement des parcours et orientation,  : andre.jorquera@ccca-btp.fr

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