Cet article fait partie d’une série de publications dédiées à la formation et à la construction au Danemark. Les informations présentées dans ces écrits ont été recueillies par des professionnels du BTP lors d’un voyage d’apprentissage (Lex) organisé à Copenhague en juin 2023 par WinLab’, l’incubateur du CCCA-BTP. 

Les conclusions de ces articles sont basées sur les observations des participants, les visites de sites et les échanges avec les intervenants et la population locale. 

Le Roskilde Technical College, exemple concret de la formation et de l’apprentissage danois 

Situé à 35 kms de Copenhague, à la sortie de la ville de ROSKILDE (83 000 habitants), le Roskilde Technical College fondé en 1840 offre une variété de parcours de formation, allant des formations type “lycéennes” aux cursus d’apprentissage, proposés à partir de 16 ans et ouverts aux adultes jusqu’à 60 ans. Distinguée en 2020 par les Nations Unies, l’école propose 34 filières de formation différentes allant de l’enseignement secondaire au Bachelor.  

Chaque année, ce sont 11 000 étudiants qui franchissent ses portes, répartis sur 9 sites distincts, bénéficiant d’installations spacieuses couvrant une surface totale de 96 mètres carrés.  L’école emploie une équipe de 427 personnes, dont 230 professeurs. 

Les formations proposées dans cet établissement incluent des métiers tels que l’ébénisterie, la menuiserie, l’électricité, l’installation sanitaire et thermique, la soudure et le coffrage bancheur.  Les étudiants ou apprentis suivent des journées de 6 heures, avec des cours commençant à 8 heures, une pause déjeuner rapide, et une fin des cours à 15 heures.   

La diversité (la mixité) est bien présente avec 16 % de public féminin engagé dans les formations de l’école.   

Les grands principes éducatifs de l’établissement

Des conditions de travail attractives pour les enseignants 

Le formateur doit effectuer 1864,84 heures par an et n’est pas tenu d’être présent au CFA s’il ne donne pas de cours. En moyenne, il travaille 37 heures par semaine, incluant le temps de cours et de préparation. Le salaire moyen mensuel des enseignants est de 3326 €, pouvant atteindre 4300 €. Cependant le nombre de formateurs est corrélé aux effectifs d’étudiants : moins d’étudiants = moins de formateurs.  

 La mobilité fortement encouragée 

Dans une démarche résolument tournée vers l’international, l’organisme de formation encourage activement ses sections d’apprentis à s’ouvrir au monde, afin de leur offrir la possibilité de découvrir et d’apprendre de nouvelles pratiques. Chaque année, pas moins de 150 étudiants sont ainsi envoyés en mobilité européenne, dans le cadre du programme Eramus. L’établissement joue également un rôle d’accueil en recevant des apprentis venus d’autres horizons. Ainsi, des apprentis issus du BP Métallier du BTP CFA du Maine et Loire ont eu l’occasion de vivre une expérience formatrice au sein de cette institution.  

Flexibilité et autonomie au cœur de l’enseignement 

L’établissement déploie différentes actions pour créer un fort sentiment d’appartenance, renforcer la fierté des étudiants et apprentis, et développer leur autonomie. La découverte de divers métiers est au cœur de cette approche, offrant une véritable richesse aux jeunes en quête de sens et de perspectives.  

L’école propose quatre modalités de cursus afin de mieux répondre aux attentes des apprentis et d’offrir une formation personnalisée : EUD (formation manuelle en alternance), HTX (formation en lycée sans alternance), EUX (combinaison des deux précédentes permettant la poursuite d’études à l’université) et AMV (formation continue dédiée aux entreprises).  

Concernant la formation continue (AMV), celle-ci s’inscrit dans une stratégie visant à valoriser l’apprentissage tout au long de la vie des Danois. Les programmes de formation continue s’adressent à l’ensemble de la population, avec des durées de formation variant de quelques demi-journées à un an.  

Dans une démarche de flexibilité et de personnalisation, l’école propose également aux étudiants et apprentis quatre périodes de rentrées par an (août, octobre, janvier et avril). La durée de la formation est comprise entre 3,5 et 5 ans, avec des modules optionnels de 4 semaines. Ces modules sont sélectionnés par l’apprenti en accord avec son entreprise, offrant ainsi un véritable programme « à la carte » pour répondre au mieux à leurs aspirations et objectifs.  

L’innovation pour attirer et fidéliser les jeunes 

Au Danemark, le taux de chômage est au plus bas, atteignant actuellement 3%, ce qui se traduit par une véritable pénurie de main-d’œuvre danoise. Dans certains chantiers, on constate un faible pourcentage d’ouvriers danois, avec un nombre significatif d’ouvriers étrangers, comme c’est le cas sur le chantier emblématique du Fermern Tunnel, plus grand tunnel immergé routier et ferroviaire du monde, où 90% des ouvriers sont étrangers. 

Cette conjoncture rend le recrutement difficile, d’autant plus que les métiers du BTP sont perçus comme exigeants au Danemark, notamment en raison des conditions de travail parfois difficiles sur les chantiers.  

En parallèle, de nombreux apprentis abandonnent leur formation en cours, souvent par manque d’intérêt ou de conviction. Le plein emploi pousse les jeunes à envisager des changements d’établissement pour découvrir d’autres métiers. 

Face à ce défi, l’enjeu majeur réside dans la proposition d’une formation qui réponde au mieux aux attentes des jeunes en matière de salaires, de cadre de travail et de bien-être professionnel. Pour cela, il est essentiel de leur fournir des espaces de formation dotés d’équipements de premier choix. C’est pourquoi le Roskilde Technical College prête une attention forte aux équipements de ses ateliers. 

Par ailleurs, inciter les étudiants et apprentis à proposer de l’innovation dans leurs activités constitue une stratégie pour renforcer leur attrait pour le métier et leur envie de s’investir à long terme dans leur travail. Ainsi, les formations proposées au sein de l’école se veulent innovantes. En effet l’école encourage les apprentis à penser différemment et à trouver de nouvelles solutions en lien avec les activités de leur métier, consacrant ainsi environ un quart du temps de formation à cet aspect stimulant et créatif.  

Ecoles et entreprises, des liens de plus en plus marqués 

On observe une volonté croissante des entreprises de s’impliquer davantage dans la formation de leurs apprentis. Cet engagement revêt une importance capitale tant pour la fidélisation des futurs salariés au sein de l’entreprise que pour sa pérennité à long terme. La démarche proposée par Émilie Rath, Responsable des apprentis dans l’entreprise Wicolec Kirrkebjerg, se révèle particulièrement intéressante et démontre concrètement la faisabilité de cette approche.  

Elle a en effet développé une démarche structurée de recrutement des apprentis qui consiste à :  

  1. Informer et susciter des vocations : Elle se déplace dans les écoles pour informer les étudiants sur les métiers et expliquer les opportunités offertes par son entreprise. 
  2. Affiner le projet professionnel : Dès que les étudiants s’inscrivent à l’école, l’entreprise se présente à eux et mène des entretiens de recrutement pour évaluer la compatibilité entre l’étudiant et l’entreprise. 
  3. Renforcer le sentiment d’appartenance : Au bout de seulement 2 mois à l’école, les étudiants reçoivent un contrat d’embauche, ce qui les engage dans le projet de l’entreprise.  Ils reçoivent également des tenues personnalisées à l’image de l’entreprise.
  4. Intégrer en toute convivialité : À leur arrivée dans l’entreprise, les étudiants participent à une visite des locaux et partagent un petit-déjeuner ensemble, favorisant ainsi des liens conviviaux. 
  5. Faire découvrir tous les métiers : Les étudiants sont affectés à différents services de l’entreprise pour explorer une variété de métiers. 
  6. Offrir de la flexibilité dans le choix des projets : Les étudiants ont la liberté de choisir les modules et les projets sur lesquels ils souhaitent travailler. 

Outre cette approche de recrutement, l’entreprise accorde une grande importance au bien-être au travail. Emilie Rath organise une journée de cohésion et une journée sportive ou d’activité collective spécialement pour les apprentis. De plus, chaque apprenti bénéficie d’un suivi individuel, avec des entretiens hebdomadaires pendant les 4 premiers mois.  

L’entreprise offre également une certaine souplesse dans les horaires pour répondre aux besoins de ses apprentis. En outre, elle envisage la création d’un programme à l’étranger pour les apprentis intéressés. 

Enfin, l’école et l’entreprise s’efforcent de changer les mentalités et les cultures pour attirer davantage de femmes vers ces métiers traditionnellement associés aux hommes.

Quels apprentissages ?

Rapport d’étonnement 

Les participants à la Lex ont relevé les caractéristiques suivantes :  

• l’implication des entreprises dans les programmes de formation :  Depuis 2014, un comité composé d’entreprises et de syndicats professionnels collabore pour définir les contenus de formation de chaque métier, ainsi que les modalités pédagogiques à mettre en œuvre, le tout étant validé par l’État.  

• le rythme de l’alternance : En ce qui concerne les parcours proposés, l’alternance adopte un rythme moins soutenu que celui pratiqué en France. Par exemple, un étudiant peut passer une année entière en entreprise avant de retourner au centre de formation. De plus, la journée de formation se termine à 15h, permettant aux étudiants de s’engager dans la vie active en travaillant à temps partiel ou de consacrer du temps à d’autres activités, comme le sport.  

• autonomie et travail de groupe : Au cœur de toutes les activités de formation, la pairagogie, c’est-à-dire le travail en groupe, est privilégiée. Cette approche est déjà présente dès le primaire. Elle permet aux apprenants de développer une grande liberté et favorise l’expérimentation en mode « Do it Yourself », ce qui renforce leur autonomie et leur confiance en eux. Cependant, certains enfants peuvent se sentir déstabilisés par ce degré d’indépendance et d’autres peuvent être confrontés à des difficultés d’adaptation.  

• confiance et responsabilisation : Le pays adopte une approche basée sur la confiance en chaque individu, et cette mentalité se reflète également dans la démarche Santé-Prévention pour les apprentis au CFA et en entreprise. Les individus sont responsabilisés, ce qui peut se traduire par des situations variées au sein d’un même atelier. Par exemple, certains apprenants choisissent de porter des équipements de protection individuelle (EPI) tandis que d’autres préfèrent s’en passer, sans que les formateurs n’exigent qu’ils en utilisent.  

Opportunités de réplication 

Suite aux différentes entrevues et visites réalisées, certaines opportunités de réplication se dessinent : 

Intégration de modalités de formation encourageant l’initiative personnelle et la recherche, en mettant l’accent sur l’innovation dans le métier des apprentis. 

Interactions constantes et objectivées avec les entreprises, les syndicats et les organismes professionnels, dans le but de proposer des parcours de formation adaptés aux attentes et aux besoins du marché. 

Implication des entreprises formatrices dans le processus de pré-recrutement, ainsi que dans l’accueil, l’accompagnement et le suivi de chaque apprenti. À noter que les tuteurs sont tenus de suivre une formation obligatoire de 3 jours avant d’accueillir un apprenti. 

Pour conclure, nous observons que le système de formation danois est varié et attractif, surtout en période de pénurie de main-d’œuvre. Tant les étudiants que les adultes ont la liberté de choisir leur orientation professionnelle et peuvent même la changer plusieurs fois. Au Danemark, il ne faut que 3 semaines pour trouver un nouvel emploi, et en moyenne, les personnes changent de carrière tous les 3 à 4 ans, avec par exemple 25% des étudiants de la filière électrique qui sont en reconversion. 

L’attractivité de la formation danoise se manifeste à travers trois aspects majeurs : 

  1. Rémunération : les salaires de départ en alternance se situent entre 1270 et 1680 euros. Cependant, il est important de noter que le coût de la vie dans ce pays est plus élevé. 
  2. Appartenance à une communauté : l’apprentissage de l’appartenance à une communauté et le travail en groupe sont inculqués depuis le plus jeune âge. 
  3. Innovation et flexibilité : les modules de formation sont conçus de manière innovante et flexible. 

Le système éducatif danois met l’accent sur l’indépendance, l’intelligence collective, l’expérience, la découverte et le respect des traditions, tout en favorisant la confiance. 

L’approche financière occupe une place prépondérante dans leur mode de vie. Le système de formation doit être rentable, et un cursus avec trop peu d’élèves peut être supprimé, entraînant une réduction du nombre d’enseignants. L’attractivité, la créativité et la réactivité sont donc essentielles dans les centres de formation pour assurer leur pérennité, ce qui se reflète dans les modalités d’évaluation, où 25% des critères portent sur des démarches d’innovation. 

Le Danemark, pour acquérir des compétences professionnelles spécifiques, autorise une immigration de compétences. Malgré une politique de formation axée sur la rentabilité et les besoins du marché (formation de 2000 maçons s’il y a une demande pour 2000 maçons), la pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs conduit à des accords avec d’autres pays. Par exemple, un contrat avec l’Inde a permis au Danemark d’accueillir un grand nombre de professionnels reconnus dans le domaine de l’intelligence artificielle (IA). 

En conclusion, le Danemark met en place une politique de formation adaptée à ses besoins territoriaux en proposant une offre de formation diversifiée, innovante et attrayante, permettant ainsi à des bénéficiaires de tous âges de personnaliser leur parcours professionnel tout au long de leur vie.

Vous êtes intéressé ? Besoin de plus d’information ? Contactez-nous :

Rédacteurs : Rihab Belghith, Pascal Miché, Lionel Correia, Nathalie Rolling, Léa Fauché, Yavuz Elverdi 

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