Cet article fait partie d’une série de publications dédiées à la formation et à la construction au Danemark. Les informations présentées dans ces écrits ont été recueillies par des professionnels du BTP lors d’un voyage d’apprentissage (Lex) organisé à Copenhague en juin 2023 par WinLab’, l’incubateur du CCCA-BTP. 

Les conclusions de ces articles sont basées sur les observations des participants, les visites de sites et les échanges avec les intervenants et la population locale. 

Le travail au Danemark, une innovation avant tout sociale

Grande autonomie au travail, excellent équilibre entre vie professionnelle et vie privée, moindre importance accordée à la hiérarchie et au statut, niveau de confiance très élevé y compris des managers, investissement des pères dans les tâches parentales… Ces divers aspects de la culture du travail au Danemark contribuent à créer un environnement professionnel stimulant, équilibré et productif. 

Depuis des années, le Danemark occupe une place très haute dans les classements des pays où il fait bon vivre, comme par exemple le World Happyness Report, où le Danemark se plaçait en mars 2023 en 2ème position des pays les plus heureux au monde. Il est en même temps l’un des pays ou la productivité est la plus élevée au monde, selon l’OCDE. 

Lego, Maersk (logistique), Vestas (éoliennes), Tuborg et Carlsberg (brasseries industrielles), Rockwool (laine de roche), Velux… tous ces fleurons sont danois. Ajoutons la croissance économique marquée, et le bénéfice public important, et le Danemark apparaît comme un pays référence. Quelle est la recette de ce succès ? Une partie de la réponse se trouve dans la relation de ses habitants avec le travail.

Le Danemark, un exemple inspirant d’économie florissante et d’unité au travail

Ce pays scandinave compte 5,8 millions d’habitants, affiche une population active de plus de 50% et présente un contexte singulier. Doté d’une dynamique économique robuste et ancré dans une tradition marchande, le Danemark connaît actuellement un essor remarquable qui lui vaut une reconnaissance mondiale particulière, tant et si bien que certains parlent même de “moment danois”. Au niveau économique, on pourrait qualifier la réussite danoise de « cohérente » : les comptes de la nation sont excédentaires, la posture nationale est d’un pur libéralisme (l’intervention de l’Etat dans les affaires économiques est insignifiante), et la famille royale danoise se positionne comme très intégrée à la société et hyper motrice dans le développement économique. 

Les Danois jouent en équipe ! On parle d’une nation qui concourt à un objectif commun : celui de la réussite de tous. Pour ce faire, tous les acteurs se font confiance, qu’il s’agisse des entreprises, des salariés ou des politiques. Ces valeurs de confiance et d’équipe se retrouvent dans le modèle de management danois : le flat management. Ici, pas de hiérarchie marquée, pas de contrôle strict des horaires de travail, chaque acteur est responsabilisé sur sa mission. L’humain est au cœur de ce processus où le travail n’est en rien une fin soi, mais plutôt un moyen affirmé d’accomplissement personnel. Ce qui compte, ce ne sont pas les heures passées sur le lieu travail mais les résultats ! Cette posture est d’autant plus aisée que le Danemark connaît une situation durable de plein emploi. 

Ce climat favorise une politique du consensus : on discute, on transige, on s’accorde et on finit par s’entendre. 

Il faut dire que dès la plus jeune enfance, les enfants sont élevés dans le plus grand respect des règles. C’est ce qui permet à la société tout entière de se construire sur ces deux valeurs : collectif et cohésion. 

Une culture du travail entre efficacité, responsabilité sociale et défis de main d’œuvre

Dans le monde professionnel danois, l’humain est donc au cœur du processus. Au sein de l’entreprise, l’organisation cherchera prioritairement à trouver des solutions anthropiques, en privilégiant l’équité et la mixité, toujours au service de l’efficacité. 

Les grands sujets de l’entreprise danoise s’articulent autour de plusieurs facteurs que l’on pourrait rapprocher de la Responsabilité Sociétale des Entreprises. Economies d’énergies, économie circulaire et financement vertueux sont les composantes de l’organisation du travail danois. 

Ainsi, on pourrait penser que la société danoise est innovante et vertueuse. Le système mis en place par les entreprises pour financer le développement de nouvelles activités, au travers de fondations, met en lumière cette malignité et cette souplesse danoise au profit de causes exemplaires, notamment en faveur aussi bien de la formation initiale que continue, jusque très tard dans la carrière ! Or, en creusant un peu, on s’aperçoit rapidement que l’économie danoise, et donc toute la valeur-travail, n’est portée principalement que par un vecteur : la culture du résultat. La présentation de certains grands projets et la place qui est dédiée à la main d’œuvre peu qualifiée met en lumière cette volonté farouche de développement au meilleur prix. Sur ce point en particulier, on peut souligner que le royaume connaît une très faible immigration alors qu’il y a une forte pénurie de main d’œuvre, ce qui crée des tensions marquées pour le monde du travail. 

Le salarié au cœur de la réussite de l’entreprise

La rentabilité… c’est certainement LA variable fondamentale de la prise de décision au Danemark. Que cela soit lors de l’attribution des contrats, la fixation du niveau de rémunération minimum, ou encore l’examen d’un dossier de nationalisation, l’objectif est toujours d’obtenir le prix le plus compétitif. Rappelons que nous sommes en présence d’une nation de commerçants quasi-insulaires, partageant certaines similitudes avec la culture anglo-saxonne. 

Cette recherche d’efficacité économique ne se fait pas au détriment des valeurs danoises. La durabilité des ouvrages et des projets est au cœur des attentes. Dans le cadre d’un projet, le travail est organisé selon l’approche de groupe. Le “travailler ensemble” est omniprésent.  

Les principaux facteurs de succès s’articulent autour d’un niveau de chômage particulièrement bas (moins de 2%).  Dans ce contexte de quasi plein emploi, les clauses de fin de contrat sont simplifiées (il faut 15 jours pour licencier). Ainsi, un Danois change en moyenne sept fois d’emploi dans sa carrière. La durée de sa carrière tend d’ailleurs à se rallonger, puisque l’âge de la retraite est calculé sur un temps de reste à vivre (17 ans et demi), relativement à l’espérance de vie moyenne. Le taux de travail des seniors y est l’un des plus élevé d’Europe, avec 72% d’actifs parmi les 50-64 ans. Le système de chômage est généreux (90% du salaire est maintenu) et long (2 ans d’indemnisation). La dynamique de recrutement, quant à elle, est réalisée au Danemark dans une dynamique de recherche de talents en interne et en externe, et le salarié est clairement privilégié, considéré comme la valeur ajoutée de l’entreprise. 

En revanche, et ce ne sera pas le seul paradoxe que nous aurons relevé lors de notre voyage apprenant, aucune fonction spécifique n’est prévue pour s’assurer du bien-être des salariés ou encore pour s’occuper du suivi des apprentis, tant du point de vue de leur intégration que de leur progression (voir article sur la formation et l’alternance), comme nous pourrions avoir en France un tuteur. En revanche, culturellement, cette prise en charge est faite de manière collégiale, naturellement, par les équipes de l’entreprise. A ce titre, on peut souligner des dynamiques d’intégration qui proposent un programme spécifique, avec activités de cohésion, vêtements d’entreprise, ou encore un entretien mensuel ponctuel. Du point de vue du suivi tutoral, certaines entreprises envisagent de mettre en place un système de tutorat à très court terme. 

Avis d’étonnement des participants à la Lex

Ils étaient évoqués précédemment, ils seront le fil rouge de ce “rapport d’étonnement”… les paradoxes danois ! 

Les contradictions sont nombreuses… la vertueuse société danoise porte une société de consommation deux fois plus génératrice de déchets que la société française, l’économie verte est mise en avant, alors que rien n’est fait pour réduire les consommations énergétiques, le biosourcé est affiché comme la norme et les matériaux mis en œuvre sont ceux des années 80 ! L’innovation est au cœur des systèmes mais aucune remise en cause des processus n’est opérée… 

On retrouve ces paradoxes également dans le monde du travail. En effet :  

  1. La société danoise porte le bien-être de l’humain mais on constate l’absence totale de tuteur d’apprentissage de manière systématique en entreprise afin d’accompagner le jeune.  
  2. Il n’a été souligné aucune innovation pédagogique malgré une très grande liberté d’action (AFEST ? FIT ?) et de moyens au sein des organismes de formation. 
  3. La société danoise prône la mixité, alors qu’au sein des métiers, une forte culture genrée règne. 
  4. Le discours sur le durable est omniprésent dans la société danoise, il s’avère relativement creux et adossé aux Objectifs Développement Durable de l’ONU sans innovation aucune dans le monde du travail. On peut remarquer une certaine difficulté à raisonner régionalement. Les intentions nationales semblent difficiles à appliquer à une échelle plus locale. 
  5. Nous avons constaté pas ou peu de R&D sur l’évolution des process. Le travail génère des émissions, le seul levier mobilisé est le recours à l’éolien pour verdir sans pour autant réduire… 
  6. Aucune politique de formation spécifique de la part des industriels à destination des professionnels du bâtiment n’a été portée à notre connaissance, les entreprises restent calées sur leurs habitudes de production. Cela peut être expliqué par le fait que les branches siègent directement dans les établissements, influant sur les programmes, les effectifs et même les agréments des organismes de formation. 
  7. Toute l’efficacité est axée sur la technologie, au-delà de toute règle de l’art en matière de pose, dixit : “Même si c’est mal posé, le produit reste très performant…” 
  8. Les contrats de travail sont faciles à rompre (15 jours !), donc on emploie facilement : c’est le plein emploi. Les licenciements massifs n’attirent ni les grèves, ni les télés : si un site ne fonctionne pas, il doit être arrêté. C’est du bon sens. Ça fonctionne. 

Si cette liste de paradoxes n’est pas exhaustive, le Danemark n’en est pas moins fidèle à certaines de ses valeurs. Humanisme et confiance demeurent la base du contrat social du travail au Danemark. En effet, le travail se termine tôt au Danemark afin de laisser du temps aux Danois de s’occuper de leurs familles et d’assurer une vie sociale de qualité. A 16h, les bureaux sont vides !  

La créativité est une composante importante de l’enseignement : dans le centre de formation visité (école technique de Roskilde), non seulement l’apprenant est guidé par ses appétences personnelles (modules de spécialisations au choix dans sa discipline) et par son projet professionnel (apprentissage réalisable dans plusieurs entreprises différentes puisque plusieurs modules doivent être sélectionnés) mais il doit aussi combiner ses modules dans la réalisation d’un projet créatif qui représente 20% de l’enseignement, la reproduction simple de gestes professionnelle n’étant pas admise. Autant dire que tout est fait pour booster la créativité des secteurs professionnels et par conséquent toute l’économie, au moyen des forces émergeantes : car les apprenants sont pleins de ressources, et le système danois l’a bien compris ! 

Par ailleurs, on peut noter une implication forte des entreprises en partenariat avec les syndicats dans le système de formation, qu’il s’agisse de faire évoluer et de contrôler la cohérence des programmes, leur adaptation au monde du travail et de l’entreprise, le suivi des effectifs, ou encore la gestion de la diplomation, dans une logique de pragmatisme et d’efficacité économique. Rappelons à cet effet que l’intégralité des parcours de formation (y compris au plus haut du supérieur) est gratuite et financée par l’Etat. 

Si les Danois affichent une grande souplesse dans la gestion de leur vie professionnelle, cette réalité prend tout son sens avec la formation tout au long de la vie et la reconversion professionnelle, réalités concrètes et possibles jusque très tard dans la carrière : l’apprentissage est possible jusque l’âge de 60 ans. Avec un taux de 71,4% de l’emploi des 55-64 ans (contre 53,8% en France), le marché de l’emploi des séniors apparaît comme particulièrement dynamique au Danemark. A 55 ou 60 ans, on est loin d’être périmé ou en danger sur le marché du travail. 

Inversement, les jeunes ont l’occasion de se familiariser avec le monde du travail de manière très précoce. Le travail des mineurs n’est pas un sujet au Danemark car l’école finit tôt (vers 14h) et les jeunes Danois n’ont pas de devoirs : l’occasion de s’investir dans des associations ou de travailler dès l’âge de 13 ans, dans les supérettes, les distributions de journaux… Ainsi, avant l’âge de 20 ans, ils donc sont nombreux à avoir déjà exercé plusieurs métiers. 

Enfin, nous avons constaté que la culture de l’écrit est quasiment absente. La confiance dans le numérique est absolue, et à l’école, l’enseignement du calcul mental ainsi que l’apprentissage par cœur sont presque inexistants. Cela n’est pas sans conséquences pour les salariés, notamment en matière de logique et maîtrise de la graphie, ce qui peut être dommageable dans les relations internationales et dans le cadre de projets internationaux.  

Quels enseignements et opportunités de réplication en France ?

Même si le pays peut être déconcertant du fait des paradoxes qu’il porte, de nombreux points sont très positifs et peuvent constituer des points d’inspiration pour nos systèmes français.  

• Une culture naturelle de l’alternance intégrée au travail : c’est dans l’ADN du système d’apprentissage où les entreprises, avec les syndicats, siègent dans les commissions bipartites, que ce soit pour l’évolution des effectifs (en adéquation avec les besoins des secteurs), pour l’adaptation des référentiels pédagogiques, pour les validations des examens ou même pour les agréments des organismes de formation : souplesse et consensus. 

• Une créativité à toute épreuve, à la fois pour le centre de formation, pour l’entreprise mais aussi pour tout le pays. L’apprenant est un vecteur de développement et d’innovation. 

• Une écoute des besoins et une bienveillance naturelles qui génèrent un sentiment de bien-être pour les salariés, y compris les alternants. L’apprenant visite en 1ère journée d’intégration tous les services de l’entreprise, personne n’imaginera qu’il puisse s’agir d’une perte de temps mais y verra une occasion de lien et de contact facile par la suite…  Par la suite, des entretiens sur le bien être des apprentis sont réalisés. Une piste intéressante pour limiter des ruptures et renforcer l’esprit d’équipe ? 

• Une culture d’entreprise omniprésente dans les centres de formation, que cela soit du point des vue des organisations, des droits et devoirs, de la communication, des postures… les jeunes sont, dès le plus jeune âge, “entreprise compatible” ! 

Comparatif Danemark-France 

Vous êtes intéressé ? Besoin de plus d’information ? Contactez-nous :

 

Rédacteurs : Karine Henry, Philippe Dresto, Léa Bertin, Emilie Hébrard, Thierry Bernardie, Maryse Degouge 

Je m’abonne pour recevoir la newsletter Tendances BTP